Gustav Klimt (1862-1918), la Secesión vienesa y la Novena sinfonía de Beethoven (1824)
LA MORT DE TINTAGILES, de Maurice MAETERLINCK (1894)
Maurice MAETERLINCK (Gand, 1862 - Nice 1949). Premio Nóbel de Literatura 1902
No sólo por haber sido publicada íntegramente por VER SACRUM, sino por su interés en la Secesión Vienesa, publicamos íntegramente la obra de Maeterlinck en su original francés.
Personnages
TINTAGILES
YGRAINE, BELLANGÈRE - sœurs de Tintagiles
AGLOVALE
TROIS SERVANTES DE LA REINE
ACTE PREMIER
Au sommet d'une colline qui domine le château
Entre Ygraine tenant Tintagiles par la main.
YGRAINE
Ta première nuit sera mauvaise, Tintagiles. La mer hurle déjà autour de nous ; et les arbres se plaignent. Il est tard. La lune est sur le point de se coucher derrière les peupliers qui étouffent le palais... Nous voici seuls, peut-être, bien qu'ici, il faille vivre sur ses gardes. Il semble qu'on y guette l'approche du plus petit bonheur. Je me suis dit un jour, tout au fond de mon âme ; - et Dieu lui-même pouvait l'entendre à peine; -je me suis dit un jour que j'allais être heureuse... Il n'en fallut pas davantage; et quelque temps après, notre vieux père mourait et nos deux frères disparaissaient sans qu'un seul être humain puisse nous dire où ils sont. Me voici toute seule, avec ma pauvre sœur et toi, mon petit Tintagiles; et je | n'ai pas confiance en l'avenir- Viens ici, assieds-toi sur mes genoux. I Embrasse-moi d'abord; et mets tes petits bras, là, tout autour de mon cou... on ne pourra peut-être pas les dénouer- Te rappelles-tu le temps où c'était moi qui te portais le soir, quand l'heure était venue ; et où tu avais peur des ombres de ma lampe dans les longs corridors sans fenêtres ! - J'ai senti que mon âme a tremblé sur l mes lèvres, lorsque je t'ai revu, tout à coup, ce matin... Je te croyais si loin et si bien à l'abri... Qui est-ce qui t'a fait venir ici?
TINTAGILES
Je ne sais pas, petite sœur.
YGRAINE
Tu ne sais plus ce qu'on a dit?
TINTAGILES
On a dit qu'il fallait partir. L
[524]
YGRAINE
Mais pourquoi fallait-il partir?
TINTAGILES
Parce que la reine le voulait.
YGRAINE
On n'a pas dit pourquoi elle le voulait? -Je suis sûre qu'on a dit bien des choses...
TINTAGILES
Petite sœur, je n'ai rien entendu.
YGRAINE
Quand ils parlaient entre eux, qu'est-ce qu'ils se disaient?
TINTAGILES
Petite sœur, ils parlaient à voix basse.
YGRAINE
Tout le temps?
TINTAGILES
Tout le temps, sœur Ygraine ; excepté quand ils me regardaient.
YGRAINE
Ils n'ont point parlé de la reine !
TINTAGILES
Ils ont dit, sœur Ygraine, qu'on ne la voyait pas.
YGRAINE
Et ceux qui étaient avec toi, sur le pont du navire, n'ont rien dit?
TINTAGILES
Ils ne s'occupaient que du vent et des voiles, sœur Ygraine.
[525]
YGRAINE
Ah!... Cela ne m'étonne pas, mon enfant...
TINTAGILES
Ils m'ont laissé tout seul, petite sœur.
YGRAINE
Ecoute-moi, Tintagiles, je vais te dire ce que je sais...
TINTAGILES
Que sais-tu, sœur Ygraine?
YGRAINE
Peu de chose, mon enfant... Ma sœur et moi, nous nous traînons ! ici, depuis notre naissance, sans rien oser comprendre à tout ce qui se passe... J'ai vécu bien longtemps comme une aveugle dans cette ; île; et tout me semblait naturel- Je n'y voyais pas d'autres événements qu'un oiseau qui volait, une feuille qui tremblait, une rosé qui s'ouvrait- II y régnait un tel silence qu'un fruit mûr qui tombait dans le parc appelait les visages aux fenêtres... Et personne ne semblait avoir de soupçons- mais une nuit, j'ai appris qu'il devait y avoir autre chose- J'ai voulu fuir et je n'ai pu le faire- As-tu compris ce que j'ai dit?
TINTAGILES
Oui, oui, petite sœur, je comprends tout ce que l'on veut-
YGRAINE
Alors, ne parlons plus de ce qu'on ne sait pas... Tu vois là, derrière les arbres morts qui empoisonnent l'horizon, tu vois le château, au fond de la vallée ?
TINTAGILES
Ce qui est si noir, sœur Ygraine ?
YGRAINE
II est noir en effet... Il est au plus profond d'un cirque de ténèbres- II faut bien qu'on y vive... On eût pu le construire au [526] sommet des grands monts qui l'entourent- Les monts sont bleus durant le jour... On aurait respiré. On aurait vu la mer et les prairies de l'autre côté des rochers... Mais ils ont préféré le mettre au fond de la vallée; et l'air même ne descend pas si bas... Il tombe en ruines, et personne n'y prend garde... Les murailles se fendent et l'on dirait qu'il se dissout dans les ténèbres- II n'y a qu'une tour que le temps n'attaque point- Elle est énorme ; et la maison ne sort pas de son ombre...
TINTAGILES
II y a quelque chose qui s'éclaire, sœur Ygraine- Vois-tu, vois-tu, les grandes fenêtres rouges?-
YGRAINE
Ce sont celles de la tour, Tintagiles ; ce sont les seules où tu verras de la lumière, et c'est là que se trouve le trône de la reine.
TINTAGILES
Je ne verrai pas la reine ?
YGRAINE
Personne ne peut la voir...
TINTAGILES
Pourquoi ne peut-on la voir?
YGRAINE
Approche-toi davantage, Tintagiles... Il ne faut pas qu'un oiseau ou une herbe nous entende...
TINTAGILES
II n'y a pas d'herbe, petite sœur- Un silence. - Qu'est-ce qu'elle fait, la reine ?
YGRAINE
Personne ne le sait, mon enfant. Elle ne se montre pas- Elle vit là, toute seule dans sa tour ; et celles qui la servent ne sortent pas durant le jour- Elle est très vieille ; elle est la mère de notre mère et elle veut régner seule- Elle est soupçonneuse et jalouse et on [527] dit qu'elle est folle- Elle a peur que quelqu'un ne s'élève à sa place ; et c'est, sans doute, à cause de cette crainte qu'elle a voulu qu'on t'amenât ici... Ses ordres s'exécutent sans qu'on sache comment... Elle ne descend jamais ; et toutes les portes de la tour sont fermées nuit et jour... Je ne l'ai jamais aperçue; mais d'autres l'ont vue, paraît-il, dans le temps, alors qu'elle était jeune...
TINTAGILES
Elle est très laide, sœur Ygraine ?
YGRAINE
On dit qu'elle n'est pas belle et qu'elle devient énorme- Mais ceux qui l'ont vue n'osent plus en parler... Mais qui sait s'ils l'ont vue?... Elle a une puissance que l'on ne comprend pas; et nous vivons ici avec un grand poids sans merci sur notre âme... Il ne faut pas que tu t'effraies outre mesure ou que tu aies de mauvais rêves ; nous veillerons sur toi, mon petit Tintagiles, et le mal ne pourra t'atteindre ; mais ne t'éloigne pas de moi, de ta sœur Bellangère ni de notre vieux maître Agiovale-
TINTAGILES
D'Aglovale non plus, sœur Ygraine ?
YGRAINE
D'Aglovale non plus... Il nous aime...
TINTAGILES
II est si vieux, petite sœur !
YGRAINE
II est vieux, mais très sage... C'est le seul ami qui nous reste; et il sait bien des choses- C'est étrange ; elle t'a fait venir sans prévenir personne- Je ne sais ce qu'il y a dans mon cœur... J'étais triste et heureuse de te savoir si loin, de l'autre côté de la mer... Et maintenant j'ai été étonnée-Je sortais ce matin pour voir si le soleil se levait sur les monts; et c'est toi que je vois sur le seuil... Je t'ai reconnu tout de suite...
[528]
TINTAGILES
Non, non, petite sœur; c'est moi qui ai ri le premier...
YGRAINE
Je ne pouvais pas rire tout de suite... Tu comprendras... Il est temps, Tintagiles, et le vent devient noir sur la mer... Embrasse-moi, plus fort, encore, encore, avant de te mettre debout- Tu ne sais pas qu'on aime... Donne-moi ta petite main... Je la garderai bien et nous allons rentrer dans le château malade-
Ils sortent.
[529]
ACTE DEUXIÈME
Un appartement dans le château
On découvre Agiovale et Ygraine. - Entre Bellangère.
BELLANGÈRE
Où est Tintagiles?
YGRAINE
Ici; ne parle pas trop fort. Il dort dans l'autre chambre. Il semblait un peu pâle, un peu souffrant aussi. Il était fatigué du voyage et de la longue traversée. Ou bien, c'est l'atmosphère du château qui a surpris sa petite âme. Il pleurait sans raison. Je l'ai bercé sur mes genoux; viens voir- II dort dans notre lit- II dort très gravement, une main sur le front, comme un petit roi triste...
BELLANGÈRE, fondant soudainement en larmes
Ma sœur! ma sœur!- ma pauvre sœur!...
YGRAINE
Qu'y a-t-il?
BELLANGÈRE
Je n'ose pas dire ce que je sais... et je ne suis pas sûre de savoir quelque chose... et cependant j'ai entendu ce qu'on ne pouvait pas entendre-
YGRAINE
Qu'as-tu donc entendu?
BELLANGÈRE
J'ai passé près des corridors de la tour-
[530]
YGRAINE
Ah?...
BÉLLANGÈRE
Une porte y était entr'ouverte. Je l'ai poussée très doucement... Je suis entrée...
YGRAINE
Où ça?
BELLANGÈRE
Je n'avais jamais vu- II y avait d'autres corridors éclaires par des lampes; puis des galeries basses qui n'avaient pas d'issue... Je savais qu'il était défendu d'avancer-J'avais peur et j'allais revenir sur mes pas, quand je surpris un bruit de voix qu'on entendait à peine...
YGRAINE
II faut que ce soient les servantes de la reine ; elles habitent au pied de la tour-
BELLANGÈRE
Je ne sais pas au juste ce que c'était- II devait y avoir plus d'une porte entre nous ; et les voix m'arrivaient comme la voix de quel-qu'un qu'on étouffe-Je me suis approchée autant que je l'ai pu... Je ne suis sûre de rien mais je crois qu'elles parlaient d'un enfant arrivé d'aujourd'hui et d'une couronne d'or... Elles semblaient rire-
YGRAINE
Elles riaient?
BELLANGÈRE
Oui, je crois qu'elles riaient- à moins qu'elles ne pleurassent, ou que ce fût une chose que je n'ai pas comprise ; car on entendait mal, et leurs voix étaient douces. Elles semblaient s'agiter en foule sous des voûtes... Elles parlaient de l'enfant que la reine voulait voir- Elles monteront probablement ce soir-
[531]
YGRAINE
Quoi?... ce soir?-
BELLANGÈRE
Oui- Oui... Je crois que oui...
YGRAINE
Elles n'ont nommé personne?
BELLANGÈRE
Elles parlaient d'un enfant, d'un tout petit enfant...
YGRAINE
II n'y a pas d'autre enfant...
BELLANGÈRE
Elles élevaient un peu la voix en ce moment, parce que l'une d'elles avait dit que le jour ne semblait pas venu...
YGRAINE
Je sais ce que cela veut dire, et ce n'est pas la première fois qu'elles sortent de la tour... Je savais bien pourquoi elle l'avait fait venir... mais je ne pouvais croire qu'elle aurait hâte ainsi!... Nous verrons... nous sommes trois et nous avons le temps.
BELLANGÈRE
Que vas-tu faire?
YGRAINE
Je ne sais pas encore ce que je ferai, mais je l'étonnerai... savez-vous ce que c'est, vous autres qui tremblez? Je vais vous dire...
BELLANGÈRE
Quoi?
YGRAINE
Elle ne le prendra pas sans peine-
[532]
BELLANGÈRE
Nous sommes seules, sœur Ygraine...
YGRAINE
Ah! c'est vrai, nous sommes seules!... Il n'y a qu'un remède et il nous réussit toujours!... Attendons à genoux comme les autres fois... D'une voix ironique. Elle aura peut-être pitié!... Elle se laisse désarmer par les larmes... Il faut lui accorder tout ce qu'elle demande; elle sourira peut-être; et elle a l'habitude d'épargner tous ceux qui s'agenouillent- Elle est là depuis des années dans son énorme tour, à dévorer les nôtres, sans qu'un seul ait osé la frapper au visage... Elle est là sur notre âme comme la pierre d'un tombeau et pas un n'ose étendre le bras... Au temps qu'il y avait ici des hommes, ils avaient peur aussi, et tombaient à plat ventre... Aujourd'hui c'est au tour de la femme- nous verrons- II est temps qu'on se lève à la fin- On ne sait pas sur quoi repose sa puissance, et je ne veux plus vivre à l'ombre de sa tour... Allez-vous-en, allez-vous-en tous deux, et laissez-moi plus seule encore si vous tremblez aussi... Je l'attends-
BELLANGÈRE
Ma sœur, je ne sais pas ce qu'il faut que l'on fasse, mais je reste avec toi...
AGLOVALE
Je reste aussi, ma fille... Il y a bien longtemps que mon âme est inquiète- Vous allez essayer- nous avons essayé plus d'une fois...
YGRAINE
Vous avez essayé... vous aussi?
AGLOVALE
Ils ont tous essayé... Mais au dernier moment, ils ont perdu la force... Vous aussi vous verrez... Elle m'ordonnerait de monter jusqu'à elle ce soir même, je joindrais mes deux mains sans rien dire; et mes pieds fatigués graviraient l'escalier, sans lenteur et sans hâte, bien que je sache qu'on ne le descend pas les yeux ouverts... Je n'ai plus de courage contre elle... nos mains ne servent à rien et [533] n'atteignent personne... Ce n'est pas ces mains-là qu'il faudrait et tout est inutile... Mais je veux vous aider puisque vous espérez... Fermez les portes, mon enfant... Éveillez Tintagiles ; entourez-le de vos petits bras nus et prenez-le sur vos genoux... nous n'avons pas d'autre défense-
[534]
ACTE TROISIÈME
Le même appartement
On découvre Ygraine et Agiovale.
YGRAINE
J'ai visité les portes. Il y en a trois. Nous garderons la grande... Les deux autres sont épaisses et basses. Elles ne s'ouvrent jamais. Les clefs en sont perdues depuis longtemps, et les barres de fer sont scellées dans les murs. Aidez-moi à fermer celle-ci ; elle est plus lourde que la porte d'une ville... Elle est solide aussi, et la foudre elle-même ne pourrait pas entrer... Êtes-vous prêt à tout?
AGLOVALE, s'asseyant sur le seuil
Je vais m'asseoir sur les marches du seuil ; l'épée sur les genoux... Je crois que ce n'est pas la première fois que j'attends et que je veille ici... et il y a des moments où l'on ne comprend pas tout ce qu'on se rappelle... J'ai fait ces choses, je ne sais quand... mais je n'avais jamais osé tirer l'épée... Aujourd'hui, elle est là, devant moi, bien que mes bras n'aient plus de force ; mais je veux essayer- II est peut-être temps qu'on se défende, quoiqu'on sache que l'effort ne servira de rien.
Bellangère, portant Tintagiles dans ses bras, sort de l'appartement voisin.
BELLANGÈRE
II était éveillé...
YGRAINE
II est pâle... qu'a-t-il donc?
BELLANGÈRE
Je ne sais... Il pleurait en silence...
[505]
YGRAINE
Tintagiles-
BELLANGÈRE
II regarde d'un autre côté-
YGRAINE
II ne me reconnaît pas... Tintagiles, où es-tu? - C'est ta sœur qui te parle... Que regardes-tu là? - Retourne-toi- viens, nous allons jouer-
TINTAGILES
Non... non-
YGRAINE
Tu ne veux pas jouer ?
TINTAGILES
Je ne peux plus marcher, sœur Ygraine...
YGRAINE
Tu ne peux plus marcher?... Voyons, voyons, qu'as-tu donc? - Est-ce que tu souffres un peu?
TINTAGILES
Oui-
YGRAINE
Où est-ce donc que tu souffres ? - dis-le moi, Tintagiles, et je te guérirai-
TINTAGILES
Je ne peux pas le dire, sœur Ygraine, c'est partout...
YGRAINE
Viens ici, Tintagiles... Tu sais bien que mes bras sont plus doux et qu'on y guérit vite... Donne-le moi, Bellangère... Il va s'asseoir sur mes genoux, et cela passera... Là, tu vois ce que c'est?... Tes [536] grandes sœurs sont ici... Elles sont autour de toi... nous allons te défendre et le mal ne pourra pas venir...
TINTAGILES
II est là, sœur Ygraine... Pourquoi n'y a-t-il pas de lumière, sœur Ygraine ?
YGRAINE
II y en a, mon enfant- Tu ne vois pas la lampe qui descend de la voûte ?
TINTAGILES
Oui, oui... Elle n'est pas grande- II n'y en a pas d'autres?
YGRAINE
Pourquoi en faut-il d'autres? on voit ce qu'il faut voir-
TINTAGILES
Ah!
YGRAINE
Oh! tes yeux sont profonds!-
TINTAGILES
Les tiens aussi, sœur Ygraine...
YGRAINE
Je ne l'avais pas remarqué ce matin... J'ai vu monter- On ne sait pas au juste ce que l'âme a cru voir-
TINTAGILES
Je n'ai pas vu l'âme, sœur Ygraine- Mais pourquoi Agiovale est-il là sur le seuil?
YGRAINE
II se repose un peu... Il voulait t'embrasser avant de se coucher... Il attendait que tu fusses éveillé...
[537]
TINTAGILES
Qu'est-ce qu'il a sur les genoux?
YGRAINE
Sur les genoux? Je ne vois rien sur ses genoux...
TINTAGILES
Si, si, il y a quelque chose-
AGLOVALE
Peu de chose, mon enfant-Je regardais ma vieille épée; et je la reconnais à peine... Elle m'a servi bien des années; mais depuis quelque temps, j'ai perdu toute confiance en elle, et je crois qu'elle va se briser... Il y a là, près de la garde, une petite tache... J'ai remarque que l'acier pâlissait, et je me demandais... Je ne sais plus ce que je demandais- Mon âme est bien lourde aujourd'hui- Que veux-tu qu'on y fasse?... Il faut bien que l'on vive en attendant l'inattendu- et puis il faut agir comme si l'on espérait- On a de ces soirs graves où la vie inutile vous remonte à la gorge ; et l'on voudrait fermer les yeux... Il est tard, et je suis fatigué-
TINTAGILES
II a des blessures, sœur Ygraine-
YGRAINE
Où donc?
TINTAGILES
Sur le front et les mains-
AGLOVALE
Ce sont de très vieilles blessures dont je ne souffre plus... Il faut que la lumière tombe sur elles ce soir- Tu ne les avais pas remarquées jusqu'ici ?
TINTAGILES
II a l'air triste, sœur Ygraine...
[538]
YGRAINE
Non, non, il n'est pas triste, mais très las-
TINTAGILES
Toi aussi, tu es triste, sœur Ygraine-
YGRAINE
Mais non, mais non ; tu vois bien, je souris-
TINTAGILES
Et l'autre sœur aussi...
YGRAINE
Mais non, elle sourit aussi-
TINTAGILES
Ce n'est pas sourire ça- Je sais bien-
YGRAINE
Voyons; embrasse-moi et pense à autre chose...
Elle l'embrasse.
TINTAGILES
À quelle chose, sœur Ygraine ? - Pourquoi me fais-tu mal quand tu m'embrasses ainsi?
YGRAINE
Je t'ai fait mal?
TINTAGILES
Oui... Je ne sais pas pourquoi j'entends battre ton cœur, sœur Ygraine...
YGRAINE
Tu l'entends battre ?
TINTAGILES
Oh ! oh 1 il bat, il bat, comme s'il voulait...
[539]
YGRAINE
Quoi?
TINTAGILES
Je ne sais pas, sœur Ygraine...
YGRAINE
II ne faut pas s'inquiéter sans raison, ni parler par énigmes-Tiens! tes yeux sont mouillés... Pourquoi te troubles-tu ? J'entends ton cœur aussi... on les entend toujours lorsqu'on s'embrasse ainsi... C'est alors qu'ils se parlent et qu'ils disent des choses que la voix ne dit pas...
TINTAGILES
Je n'ai pas entendu tout à l'heure-
YGRAINE
C'est qu'alors... Oh! mais le tien!- qu'a-t-il donc?... il éclate!...
TINTAGILES, criant
Sœur Ygraine ! sœur Ygraine !
YGRAINE
Quoi?
TINTAGILES
J'ai entendu!- Elles... elles viennent!
YGRAINE
Mais qui donc?- qu'as-tu donc?-
TINTAGILES
La porte ! la porte ! Elles y étaient !
Il tombe à la renverse sur les genoux d'Ygraine.
YGRAINE
Qu'a-t-il donc?... Il s'est... il s'est évanoui...
[540]
BELLANGÈRE
Prends garde... prends garde... Il va tomber...
AGLOVALE, se levant brusquement, l'épée à la main
J'entends aussi... on marche dans le corridor.
YGRAINE
Oh!...
Un silence - ils écoutent.
AGLOVALE
J'entends... Il y en a une foule...
YGRAINE
Une foule... quelle foule?
AGLOVALE
Je ne sais pas... on entend et on n'entend pas... Elles ne marchent pas comme les autres êtres, mais elles viennent- Elles touchent à la porte...
YGRAINE, serrant convulsivement Tintagiles dans ses bras
Tintagiles !... Tintagiles !...
BELLANGÈRE, l'embrassant en même temps
Moi aussi!... moi aussi!... Tintagiles!...
AGLOVALE
Elles ébranlent la porte... écoutez- doucement- Elles chuchotent... Elles frôlent. .
On entend une clef grincer dans la serrure.
YGRAINE
Elles ont la clef!
AGLOVALE
Oui... oui... J'en étais sûr... Attendez..
[541]
II se dresse, l'épée haute, sur la dernière marche. - Aux deux sœurs :
Venez ! venez aussi !
Un silence. La porte s'ouvre un peu. Affolé, Agiovale met son épée en travers de l'ouverture, en en fichant la pointe entre les poutres du chambranle. L'épée se brise avec fracas sous la pression funèbre du vantail, et ses fragments roulent en résonnant le long des marches. Ygraine bondit, portant Tintagiles évanoui; et elle, Bellangère et Agiovale, avec des efforts vains et énormes, tentent de repousser la porte qui continue de s'ouvrir lentement, sans qu'on entende ou qu'on voie personne. Seule, une clarté froide et calme pénètre dans l'appartement. A ce moment, Tintagiles, se raidissant soudain, revient à lui, pousse un long cri de délivrance et embrasse sa sœur, tandis qu'à l'instant même de ce cri, la parte qui ne résiste plus, se referme brusquement sous leur poussée qu'ils n'ont pas eu le temps d'interrompre.
YGRAINE
Tintagiles!-
Ils se regardent avec étonnement.
AGLOVALE, écoutant à la porte
Je n'entends plus rien...
YGRAINE, éperdue de joie
Tintagiles!- Tintagiles!... Voyez! Voyez!... Il est sauvé!- Voyez ses yeux... on voit le bleu... Il va parler... Elles ont vu qu'on veillait.. Elles n'ont pas osé... Embrasse-nous!- Embrasse-nous, te dis-je !... Embrasse-nous!- Tous! Tous!- Jusqu'au fond de notre âme!-
Tous les quatre, les yeux pleins de larmes, se tiennent étroitement embrassés.
[542]
ACTE QUATRIÈME
Un corridor devant l'appartement de l'acte précédent
Entrent, voilées, trois servantes de la reine.
PREMIÈRE SERVANTE, écoutant à la porte
Ils ne veillent plus-
DEUXIÈME SERVANTE
II est inutile d'attendre...
TROISIÈME SERVANTE
Elle préfère qu'on le fasse en silence...
PREMIÈRE SERVANTE
Je savais qu'ils devaient dormir...
DEUXIÈME SERVANTE
Ouvrez vite...
TROISIÈME SERVANTE
II est temps...
PREMIÈRE SERVANTE
Attendez à la porte. J'entrerai seule. Il est inutile d'être trois...
DEUXIÈME SERVANTE
II est vrai qu'il est bien petit-
TROISIÈME SERVANTE
II faut prendre garde à l'aînée...
DEUXIÈME SERVANTE
Vous savez que la reine ne veut pas qu'elles le sachent...
[543]
PREMIÈRE SERVANTE
Ne craignez rien ; on ne m'entend jamais sans peine-
DEUXIÈME SERVANTE
Entrez donc; il est temps.
La première servante ouvre la parte avec prudence et entre dans la chambre.
TROISIÈME SERVANTE
Ah...
Un silence. La première servante sort de l'appartement.
DEUXIÈME SERVANTE
Où est-il?
PREMIÈRE SERVANTE
II dort entre ses sœurs. Il entoure leur cou de ses bras ; et leurs bras l'entourent aussi... Je ne pourrai pas le faire seule-
DEUXIÈME SERVANTE
Je vais vous aider...
TROISIÈME SERVANTE
Oui; allez-y ensemble... je veillerai ici...
PREMIÈRE SERVANTE
Prenez garde; ils savent quelque chose... Ils luttaient tous trois contre un mauvais rêve-
Les deux servantes entrent dans la chambre.
TROISIÈME SERVANTE
Ils le savent toujours; mais ils ne comprennent pas-
Un silence. Les deux servantes ressortent de l'appartement.
TROISIÈME SERVANTE
Et bien?
[544]
DEUXIÈME SERVANTE
II faut venir aussi... On ne peut pas les détacher-
PREMIÈRE SERVANTE
Lorsqu'on dénoue leurs bras, elles les referment sur l'enfant...
DEUXIÈME SERVANTE
Et l'enfant les serre de plus en plus fort-
PREMIÈRE SERVANTE
II repose, le front sur le cœur de l'aînée...
DEUXIÈME SERVANTE
Et sa tête remonte et descend sur ses seins-
PREMIÈRE SERVANTE
Nous ne parviendrons pas à entr'ouvrir ses mains...
DEUXIÈME SERVANTE
Elles plongent jusqu'au fond des cheveux de ses sœurs-
PREMIÈRE SERVANTE
II serre une boucle d'or entre ses petites dents-
DEUXIÈME SERVANTE
II faudra couper les cheveux de l'aînée-
PREMIÈRE SERVANTE
Et ceux de l'autre sœur de même, vous verrez-
DEUXIÈME SERVANTE
Avez-vous des ciseaux?
TROISIÈME SERVANTE
Oui...
PREMIÈRE SERVANTE
Venez vite ; ils s'agitent déjà.
[545]
DEUXIÈME SERVANTE
Leur cœur et leurs paupières battent en même temps...
PREMIÈRE SERVANTE
C'est vrai ; j'ai entrevu les yeux bleus de l'aînée-
DEUXIÈME SERVANTE
Elle nous a regardées, mais ne nous a pas vues...
PREMIÈRE SERVANTE
Quand on touche à l'un d'eux, les deux autres tressaillent-
DEUXIÈME SERVANTE
Ils font de grands efforts sans pouvoir remuer...
PREMIÈRE SERVANTE
L'aînée voudrait crier, mais elle n'y parvient pas...
DEUXIÈME SERVANTE
Venez vite ; ils semblent avertis...
TROISIÈME SERVANTE
Le vieillard n'est pas là?
PREMIÈRE SERVANTE
Si; mais il dort dans un coin...
DEUXIÈME SERVANTE
II dort, le front sur le pommeau de son épée.
PREMIÈRE SERVANTE
II ne sait rien; et il ne rêve pas-
TROISIÈME SERVANTE
Venez, venez ; il faut qu'on en finisse...
PREMIÈRE SERVANTE
Vous aurez de la peine à démêler leurs membres...
[546]
DEUXIÈME SERVANTE
C'est vrai; ils s'entrelacent comme ceux des noyés...
TROISIÈME SERVANTE
Venez, venez...
Elles entrent dans la chambre. Un grand silence entrecoupé des soupirs et des sourds murmures d'une angoisse que le sommeil étouffe. Ensuite, les trois servantes sortent en toute hâte de l'appartement sombre. L'une d'elle emporte dans ses bras Tintagiles endormi, dont les petites mains crispées par le sommeil et l'agonie, l'inondent tout entière du ruissellement des longues boucles d'or ravies aux chevelures des deux sœurs. Elles fuient en silence, lorsqu'arrivées au bout du corridor, Tintagiles, tout à coup réveillé, pousse un grand cri de détresse suprême.
TINTAGILES, du fond du corridor
Aah!-
Nouveau silence. Puis on entend, dans la chambre voisine, s'éveiller et se lever inquiètement les deux sœurs.
YGRAINE, dans la chambre
Tintagiles!... où est-il?-
BELLANGÈRE
II n'y est plus-
YGRAINE, avec une angoisse croissante
Tintagiles!- une lampe! une lampe!- Allume-la!-
BELLANGÈRE
Oui... Oui... .
YGRAINE
On la voit, par la porte ouverte, s'avancer dans la chambre, une lampe à la main.
La porte est grande ouverte !
[547]
LA VOIX DE TINTAGILES, presque indistincte dans le lointain
Sœur Ygraine!-
YGRAINE
II crie!... Il crie!... Tintagiles! Tintagiles !...
Elle se précipite dans le corridor. Bellangère veut la suivre, mais tombe sans connaissance sur les marches du seuil.
[548]
ACTE CINQUIÈME
Une grande porte de fer sous des voûtes très sombres
Entre Ygraine, hagarde, échevelée, une lampe à la main.
YGRAINE, se retournant avec égarement
Ils ne m'ont pas suivie... Bellangère!... Bellangère!... Agiovale!... Où sont-ils? - Ils disaient qu'ils l'aimaient et ils m'ont laissée seule!... Tintagiles!... Tintagiles!... Oh! c'est vrai-j'ai monté, j'ai monté des degrés innombrables entre de grands murs sans pitié et mon cœur ne peut plus me faire vivre... On dirait que les voûtes remuent... Elle s'appuie contre les piliers d'une voûte. Je vais tomber. Oh! oh ! ma pauvre vie ! Je la sens... Elle est tout au bord de mes lèvres et elle veut s'en aller... Je ne sais pas ce que j'ai fait... Je n'ai rien vu; et je n'ai rien entendu... Il y a un silence!... J'ai trouvé toutes ces boucles d'or le long des marches et le long des murailles; et je les ai suivies. Je les ai ramassées. Oh ! oh ! elles sont très belles ! Petit Poucet... petit Poucet... Qu'est-ce donc que j'ai dit? Je me rappelle... Je n'y crois pas non plus... on peut dormir... Tout cela n'a pas d'importance et ce n'est pas possible... Je ne sais plus ce que je pense... On vous éveille et puis... Au fond, voyons, au fond, il faut qu'on réfléchisse... On dit ceci, on dit cela; mais c'est l'âme qui suit un tout autre chemin. On ne sait pas tout ce que l'on déchaîne. Je suis venue ici avec ma petite lampe... Elle ne s'est pas éteinte malgré le vent dans l'escalier... Au fond, que faut-il en penser? Il y a trop de choses qui ne sont pas fixées- II en est cependant qui doivent les savoir: mais pourquoi ne parlent-ils pas? Regardant autour d'elle. Je n'avais jamais vu tout ceci... On ne peut pas monter plus haut; et tout est défendu... Il fait froid- II fait si noir aussi qu'on aurait peur de respirer- On dit que les ténèbres empoisonnent... Il y a là une porte effrayante... Elle s'approche de la porte et la tâte. Oh! elle est froide!... Elle est en fer uni, tout uni et n'a pas de serrure... Par où donc s'ouvre-t-elle ? Je ne vois pas de gonds... Je crois qu'elle est scellée dans la muraille... On ne peut pas monter [549] plus haut... Il n'y a plus de marches... Poussant un cri terrible. Ah!... encore des boucles d'or prises entre les battants!- Tintagiles! Tintagiles !... J'ai entendu tomber la porte tout à l'heure !... Je me rappelle! Je me rappelle!... Il faut!... Elle frappe frénétiquement du poing et des pieds sur la porte. Oh ! le monstre ! le monstre ! C'est ici que vous êtes!- Écoutez! Je blasphème! je blasphème et je crache sur vous!-
On entend frapper à petits coups de l'autre côté de la porte; puis la voix de Tintagiles se perçoit très faiblement, à travers les battants de fer.
TINTAGILES
Sœur Ygraine, sœur Ygraine-
YGRAINE
Tintagiles!- Quoi?- quoi?... Tintagiles, est-ce toi?...
TINTAGILES
Ouvre vite, ouvre vite!... Elle est là!...
YGRAINE
Oh! oh!... Qui?... Tintagiles, mon petit Tintagiles... tu m'entends?... Qu'y a-t-il? Qu'est-il donc arrivé?- Tintagiles!... On ne t'a pas fait mal?- Où es-tu?... es-tu là?-
TINTAGILES
Sœur Ygraine, sœur Ygraine !... Je vais mourir si tu ne m'ouvres pas.
YGRAINE
Attends, j'essaye, attends... J'ouvre, j'ouvre...
TINTAGILES
Mais tu ne me comprends pas I... Sœur Ygraine !- Il n'y a pas de temps!- Elle n'a pas pu me retenir... Je l'ai frappée, frappée... j'ai couru... Vite, vite, elle arrive!...
YGRAINE
Je viens, je viens... où est-elle?...
[550]
TINTAGILES
Je ne vois rien- mais j'entends- Oh ! j'ai peur, sœur Ygraine, j'ai peur!- Vite, vite!- Ouvre vite!- pour l'amour du bon Dieu, sœur Ygraine !
YGRAINE, tâtant anxieusement la porte
Je suis sûre de trouver... attends un peu... une minute... un moment...
TINTAGILES
Je ne peux plus, sœur Ygraine... Elle souffle derrière moi-
YGRAINE
Ce n'est rien, Tintagiles, mon petit Tintagiles, n'aie pas peur... c'est que je n'y vois pas...
TINTAGILES
Mais si; je vois bien ta lumière... Il fait clair près de toi, sœur Ygraine... Ici, je n'y vois plus...
YGRAINE
Tu me vois, Tintagiles? Où est-ce que l'on voit? Il n'y a pas de fente...
TINTAGILES
Si, si, il y en a une, mais elle est si petite!...
YGRAINE
De quel côté? ici?- dis, dis... c'est peut-être par là?
TINTAGILES
Ici, ici... Tu n'entends pas? Je frappe-
YGRAINE
Ici?
[551]
TINTAGILES
Plus haut- Mais elle est si petite !... On ne peut pas y passer une aiguille !...
YGRAINE
N'aie pas peur, je suis là-
TINTAGILES
Oh! j'entends, sœur Ygraine!... Tire! tire! Il faut tirer! Elle arrive!... si tu pouvais ouvrir un peu... un petit peu- car je suis si petit !...
YGRAINE
Je n'ai plus d'ongles, Tintagiles... J'ai tiré, j'ai poussé, j'ai frappé !... j'ai frappé !... Elle frappe encore et tâche de secouer la porte inébranlable. ]'ai deux doigts qui sont morts... Ne pleure pas... C'est du fer...
TINTAGILES, sanglotant désespérément
Tu n'as pas quelque chose pour ouvrir, sœur Ygraine?- rien du tout, rien du tout... et je pourrais passer... car je suis si petit, si petit- tu sais bien...
YGRAINE
Je n'ai rien que ma lampe, Tintagiles... Voilà! Voilà!... Elle frappe la porte à grands coups, à l'aide de sa lampe d'argile qui s'éteint et se brise. Oh !... Tout est noir tout à coup!... Tintagiles, où es-tu!- Oh! écoute, écoute!... Tu ne peux pas ouvrir de l'intérieur?...
TINTAGILES
Non, non; il n'y a rien... Je ne sens rien du tout... Je ne vois plus la petite fente claire...
YGRAINE
Qu'as-tu donc, Tintagiles?... Je n'entends presque plus.
TINTAGILES
Petite sœur, sœur Ygraine- Ce n'est plus possible...
[552]
YGRAINE
Qu'y a-t-il, Tintagiles?... où vas-tu?...
TINTAGILES
Elle est là!... Je n'ai plus de courage. - Sœur Ygraine, sœur Ygraine !... Je la sens !...
YGRAINE
Qui?... Qui?-
TINTAGILES
Je ne sais pas... Je ne vois pas... Mais ce n'est plus possible!... Elle... elle me prend à la gorge... Elle a mis la main sur ma gorge... Oh ! oh ! sœur Ygraine, viens ici...
YGRAINE
Oui, oui-
TINTAGILES
II fait si noir!-
YGRAINE
Débats-toi, défends-toi, déchire-la!... N'aie pas peur... Un moment!... Je suis là... Tintagiles?- Tintagiles! réponds-moi!... Au secours!- où es-tu?... Je vais t'aider- embrasse-moi- au travers de la porte... ici... ici...
TINTAGILES, très faiblement
Ici- ici- sœur Ygraine-
YGRAINE
C'est ici, c'est ici que je donne des baisers, tu l'entends? Encore! encore!...
TINTAGILES, de plus en plus faiblement
J'en donne aussi... ici- sœur Ygraine!... sœur Ygraine!... Oh!...
On entend la chute d'un petit corps derrière la porte de fer.
[553]
YGRAINE
Tintagiles!- Tintagiles!... Qu'as-tu fait?... Rendez-le!- rendez-le!- pour l'amour de Dieu, rendez-le!... Je n'entends plus... - Qu'en faites-vous?- Ne lui faites pas de mal, n'est-ce pas?- Ce n'est qu'un pauvre enfant!- Il n'y résiste pas... Voyez, voyez... Je ne suis pas méchante... Je me suis mise à deux genoux... Rends-le nous, je t'en prie!... Ce n'est pas pour moi seule, tu le sais... Je ferai tout ce qu'on voudra... Je ne suis pas mauvaise, vous voyez... Je vous en supplie les mains jointes... J'ai eu tort... Je me soumets tout à fait, tu vois bien-J'ai perdu tout ce que j'avais... Il faudrait me punir autrement... Il y a tant de choses qui pourraient me faire plus de peine... si tu aimes à faire de la peine... Tu verras... Mais ce pauvre enfant n'a rien fait... Ce que j'ai dit, ce n'est pas vraimais je ne savais pas- Je sais bien que vous êtes très bonne... Il faut bien qu'à la fin l'on pardonne !... Il est si jeune, il est si beau et il est si petit!... Vous voyez que ce n'est pas possible!- Il met ses petits bras sur votre cou ; sa petite bouche sur votre bouche ; et Dieu lui-même ne peut plus résister... Vous allez ouvrir, n'est-ce pas?... Je ne demande presque rien... Je ne dois l'avoir qu'un moment, un tout petit moment... Je ne me rappelle pas... tu comprends... Je n'ai pas eu le temps... Il ne faut presque rien pour qu'il passe... Ce n'est pas difficile... Un long silence inexorable. - Monstre!... |Monstre ! - Je crache !..
Elle s'affaisse et continue de sangloter doucement, les bras étendus sur la porte, dans les ténèbres.
© M.Maeterlinck, ayants-droit, 1894
M.Maeterlinck. Oevres II. Théâtre. Tome 1. Bruxelles: Editions complex, 1999. P.: 521-557.
OCR: Aerius (ae-lib.org.ua) 2003
Spellcheck: Aerius (ae-lib.org.ua) 2003
Primeros colaboradores de VER SACRUM
Portada de VER SACRUM por Koloman Moser. 1902
Durante los dos primeros años VER SACRUM (que significa riachuelo sagrado) fue una publicación mensual. El material ilustrado fue desde el principio muy importante; grandes fotógrafos incluían fotografías de interiores, reproducciones de pinturas, esculturas etc. Asimismo algunos estritores y poetas colaboraron desde el principio y algunos artistas "ilustraron" poesías de Rainier Maria RILKE, Hugo von HOFMANNSTHAL, Maurice MAETERLINCK (cuya "Muerte de Tintagiles" fue publicada en el número de diciembre de 1908), Knut HANSUM, Otto Julius BIERBAUM, Richard DEHMEL, Ricarda HUCH, Conrad Ferdinand MEYER y Arno HOLZ.
Algunos músicos publicaron partituras, así Conrad ANSORGE, Hugo WOLF.
El primer número - 1898 - fue integramente dedicado a las reproducciones del pintor, dibujante y grabador belga Fernand KHNOPFF
Fernand KHNOPFF en 1900
La Esfinge, de Fernand KHNOPFF (1896). Musées Royaux des Beaux-Arts. Bruxelles
El número de noviembre de 1899 incluyó un ensayo de Theo Van Rysselberghe sobre la obra poética de Emilio VERHAEREN, y el de 1900 se dedicó íntegramente a Giovanni SEGANTINI.
Giovanni SEGANTINI, Autorretrato (1893)
Giovanni SEGANTINI: Leben in Bildern. St Moritz.
Miembros fundadores de la Secesión de Viena
Grupo de artistas de la secesión de Viena - fotografía de Moritz Nähr -, de izquierda a derecha: Anton Stark, Gustav Klimt (sentado), Kolo Moser (frente a Klimt, con sombrero), Adolf Böhm, Maximilian Lenz (reclinado), Ernst Stöhr (con sombrero), Wilhelm List, Emil Orlik (sentado), Maximilian Kurzweil, Leopold Stolba, Carl Moll (reclinado) and Rudolf Bacher. La foto fue tomada en el Pabellón de la Secesión
Los 23 miembros que salieron de la Kunstlerhaus y fundaron la secesión fueron
Gustav KLIMT
Ernst STOHR
Johann Viktor KRAMER
Joseph Maria OLBRICH
Koloman MOSER
Carl MOLL
Rudolf BACHER
Rudolf von OTTENFELD
Hans TICHY
Anton NOWAK
Julius MAYREDER
Edmund von HELLMER
Felician von MYRBACH
Josef ENGELHART
Eugen JETTEL
Wilhelm BERNATZIK
Josef HOFFMANN
Max KURZWEIL
Max LENZ
Wilhelm LIST
Otto WAGNER
Rudolf von ALT
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